Sylvia Beach, John Calder and Company
John Mackenzie Calder (1927-2018), un éditeur militant
Il est difficile d'englober le parcours de John Calder, connu comme « un adversaire de la censure », dans une définition stricte.
La vie de cet éditeur, écrivain, poète et dessinateur, fut d’une richesse rare et ses activités littéraires et artistiques considérables. Mais sans doute c’est l’édition qui constituait l’aspect principal de son travail. Durant sa carrière John Calder a édité dix-huit prix Nobel et de nombreux écrivains européens, introduisant ainsi presque à lui seul la littérature européenne dans le monde anglo-saxon avec plus de 4 000 titres de fiction, de poésie, de théâtre et d’essai engagé figurant au catalogue des éditions John Calder et Calder & Boyars.
En 1949, à l’âge de 22 ans, John Calder crée sa propre maison d'édition à Londres et entame une activité qui, très vite, le distingue des grands éditeurs de l’époque. Le souci du travail soigné, depuis le choix des textes jusqu'aux moindres détails de leur présentation confère à ses publications une qualité exemplaire, et contribue à faire de John Calder une figure mythique du monde littéraire du XXe siècle, bien qu'il soit moins connu du grand public que les écrivains qu’il a publiés.
Sa rencontre avec Samuel Beckett en 1952 et l’amitié qui s'ensuivit eut une influence déterminante dans son travail. Ainsi, après avoir publié des auteurs majeurs européens comme Tchekhov et Zola, il s’attèle à la publication des romans et essais du dramaturge. Beckett lui confia l’exclusivité de la publication de ses pièces de théâtre en anglais. Pendant plusieurs décennies, creusant cette veine européenne et en s’inspirant du catalogue des Éditions de Minuit, John Calder, véritable passeur, entreprit un vaste programme de traduction de nombreux écrivains du Nouveau Roman, tels Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon, Marguerite Duras et Robert Pinget. Sa maison d’édition londonienne a également promu des auteurs du mouvement littéraire Beat Generation , tels Hubert Selby, Jr., William S. Burroughs, Alain Ginsberg et Alexander Trocchi ; a publié des auteurs engagés comme Monique Lange, Yves Navarre ou Heinrich Böll ; a soutenu des auteurs de la littérature expérimentale anglaise tels qu’Alan Burns, Ann Quin, Eva Tucker, Wyndham Lewis, et du théâtre de l’absurdetels Eugène Ionesco et Harold Pinter. Reflétant les bouleversements politiques de l’époque, la maison a également édité des essais engagés dont les textes d’Henri Alleg, de Amiri Baraka et d’Alphaeus Hunton, et enfin a diffusé des textes politiques proches du Parti travailliste (Labour Party) au Royaume-Uni.
John Calder a souvent pris des risques pour faire connaître des œuvres radicales, tant sur le plan esthétique que sur le plan idéologique et s'est heurté à d’importantes et longues poursuites judiciaires. Il a défendu vigoureusement le droit à la liberté d'expression, devenant une figure emblématique de la lutte contre la censure dans l'édition britannique. Mais un coup d'arrêt fut ainsi donné à ses activités à l’arrivée du gouvernement Thatcher (1979-1990) : d'une production de plus d'une centaine de titres par an dans les années soixante, il passa à quelques titres, notamment des rééditions dans les années quatre-vingt-dix.
Partagé entre Paris et Londres, John Calder poursuivit son activité d'éditeur jusqu'en 2007, date à laquelle il céda la maison d'édition à Oneworld Publications, à l'exception des œuvres théâtrales, dont les droits ont été acquis par Faber & Faber.
Par son engagement envers l'avant-garde, sa lutte contre la censure et son soutien aux auteurs innovants, John Calder a laissé une empreinte durable dans l'histoire de l'édition. Aujourd'hui, son héritage perdure à travers les livres qu'il a publiés, les auteurs qu'il a découverts, et l'esprit d'indépendance qu'il a incarné dans l'industrie de l'édition anglaise.
En 2022, son épouse Sheila Colvin-Calder, a proposé de donner à la BIS une partie de la bibliothèque de John Calder. Ses archives sont conservées à l’IMEC.
Sylvia Beach, libraire d’avant-garde
Sylvia Beach (1887-1962), libraire, traductrice et éditrice américaine, ouvre à Paris en 1919 la librairie Shakespeare and Company, spécialisée dans la littérature anglo-américaine. Installée d’abord rue Dupuytren, elle s’établit définitivement au 12 rue de l'Odéon, en face de la déjà célèbre Maison des amis des livres d'Adrienne Monnier.
À la fois cabinet de lecture, librairie de vente et maison d’édition, Shakespeare and Company devient très vite un lieu incontournable des sociabilités littéraires de l'entre-deux-guerres pour les écrivains américains installés à Paris où ils côtoient leurs contemporains français.
Ezra Pound, Gertrude Stein, Francis Scott Fitzgerald, Marianne Moore, Ernest Hemingway, William Carlos Williams, James Joyce, Jules Romain, André Gide, Valéry Larbaud, Léon Paul Fargue, Henri Michaux, Samuel Beckett et tant d’autres, figurent parmi les habitués de la librairie, qui accueille aussi de nombreux lecteurs passionnés mais moins connus, y compris des étudiants.
Dès 1922, la décision de Sylvia Beach de publier Ulysses de James Joyce, dont Adrienne Monnier édite en 1929 la première traduction française, fait de cette librairie un haut lieu de l’histoire littéraire.
Jusqu’en 1941, Shakespeare and Company propose à la vente, en prêt ou en consultation un fonds unique à Paris de littérature anglaise, irlandaise et américaine en langue originale. Les classiques voisinent avec les publications récentes des auteurs les plus novateurs de l’entre-deux-guerres et avec des revues d’avant-garde, mais aussi avec des traductions, des ouvrages sur le théâtre, le cinéma, l’art, les voyages, l’histoire, la philosophie, des essais politiques, des écrits féministes. La vitrine murale en présente une sélection.
La Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne conserve en effet, depuis 1978, près de 1 400 volumes provenant de cette mythique librairie, et notamment une partie du fonds de prêt identifié par son fameux ex-libris, ainsi que quelques ouvrages provenant de la bibliothèque personnelle de Sylvia Beach. Après sa mort en 1962, la partie anglaise du fonds - environ 5 000 volumes – a été léguée à l'Institut d'études anglaises de l'Université de Paris, qui deviendra l'UER des pays anglophones de l'Université Paris III-Sorbonne Nouvelle. En 1978, des ouvrages non conservés par cet institut sont transférés à la Bibliothèque de la Sorbonne par l'intermédiaire de Paul-Gabriel Boucé (1936-2004), professeur de littérature anglaise à Paris III-Sorbonne Nouvelle.
La partie américaine du fonds a été donnée par Sylvia Beach à l'American Library de Paris en avril 1951. Ses papiers personnels sont conservés par la bibliothèque de l’Université de Princeton ainsi que les archives de sa librairie, qui comprennent les fiches où étaient enregistrés les emprunts des abonnés, accessibles aujourd’hui sur le Web grâce au Shakespeare and Company Project.