La Bibliothèque de la Sorbonne a pu acquérir, il y a quelques années, seize esquisses préparatoires de la Fête du Lendit, témoignant des talents de dessinateur de leur auteur Jean-Joseph Weerts (1846-1927). La présentation de treize d’entre elles est l’occasion de replacer cette œuvre dans l’immense chantier que constitua, au tournant du XXe siècle, la reconstruction de la Sorbonne tout en évoquant la longue carrière de Jean-Joseph Weerts qui, avant d’être éclipsé par la postérité de ses contemporains impressionnistes, fut en son temps un peintre réputé et honoré.
Combien, parmi les milliers d’étudiants qui fréquentent chaque année la Sorbonne, se sont attardés devant les peintures décorant la partie extérieure de la galerie Sorbon ? Combien se sont arrêtés pour contempler cette Fête du Lendit qui en orne les murs, à l’image de l’étudiante Françoise Maieul, personnage des Hommes de bonne volonté de Jules Romains, qui se laisse aller à l’observer à chaque rendez-vous donné sous les arcades de la cour d’honneur ? Combien d’autres sont passés sans la voir, en dépit de ses couleurs et de ses dimensions imposantes, fondue qu’elle était dans le cadre familier de leurs chères études ? Qui, parmi eux, se souvient du nom de celui qui en fut le créateur : Jean-Joseph Weerts (1846-1927) ?
La Fête du Lendit illustre un épisode fameux de la vie universitaire parisienne au Moyen-Age, lié à la foire dionysienne du Lendit (du latin Indictum, désignant un lieu d’assemblée), qui demeura longtemps un des grands rendez-vous du commerce occidental. Elle se tenait chaque année du 11 juin, jour de la Saint Barnabé, au 24 juin, jour de la Saint Jean, dans la plaine Saint-Denis, le long de la route menant à Paris. On y vendait notamment le parchemin utilisé par la communauté universitaire. Le 12 juin, toutes les écoles parisiennes avaient congé et les représentants de l’institution universitaire - recteur, doyens des facultés, procureurs des nations, suppôts... -, suivis de la foule des étudiants, cheminaient en procession solennelle des hauteurs de la montagne Sainte-Geneviève jusqu’à Saint-Denis après avoir emprunté la rue Saint-Jacques. Arrivé sur le champ de foire, le recteur donnait la bénédiction puis visitait les boutiques des parcheminiers afin de prélever, en vertu d’un usage ancien, le parchemin nécessaire à l’université pendant l’année à venir.
L’œuvre de Jean-Joseph Weerts se présente sous la forme de deux immenses toiles marouflées, de dimensions équivalentes (3,10 x 8,60 m), consacrées pour l’une à la Foire aux parchemins (à gauche), pour l’autre au Cortège des étudiants (à droite).
Commandée en 1894 par l’administration des Beaux-arts, elle ne sera achevée et installée sous les arcades de la cour d’honneur que dix ans plus tard, à l’issue d’un long travail de préparation et d’exécution imposé par les dimensions de la composition autant que par les nécessités de la reconstitution historique : en bon peintre d’histoire, Weerts s’est appliqué à représenter les personnages dans les costumes et les attitudes de leur époque en s’appuyant sur une documentation érudite. Le prix final de l’œuvre fut très élevé (40 000 francs). Dans le domaine de la peinture décorative, elle figure au rang des commandes les plus onéreuses passées dans le cadre du chantier de la nouvelle Sorbonne, avec le Bois sacré de Pierre Puvis de Chavannes, réalisé pour le grand amphithéâtre et les toiles de François Flameng et Théobald Chartran, décorant l’escalier d’honneur. Composée beaucoup plus tardivement (vers 1920), une seule autre peinture de Weerts prendra place sur les murs de la Sorbonne : Pour l’humanité, pour la patrie, pour la France, soldat de Dieu (3,85 x 2,40 m), installée dans la chapelle.
Par son style : si l’on excepte la manière de Pierre Puvis de Chavannes dont le symbolisme épuré et les tonalités douces contribuent dans les années 1880 à un incontestable renouvellement de la peinture murale et quelques audaces plus tardives dues notamment à Hélène Dufau, la plupart des artistes chargés de décorer la Sorbonne de Nénot se sont montrés peu sensibles à l’évolution des arts en dehors de la peinture dite officielle : aux côtés de François Flameng, de Théobald Chartran ou encore de Jean-Paul Laurens dont les peintures décorent la salle de lecture de la bibliothèque, Weerts appartient résolument à cette famille d’artistes garants du savoir-faire académique et respectueux de la tradition et des enseignements reçus à l’École des Beaux-arts.
Par son thème : portrait collectif de l’ancienne université de Paris, représentée à l’époque de son épanouissement et de son plus grand rayonnement international, l’œuvre de Weerts est porteuse d’une vision majestueuse et idéalisée de l’université médiévale, forte de ses privilèges et riche d’hommes et de traditions ; le visiteur est invité à mettre en regard de cette grandeur passée la renaissance de l’institution universitaire au tournant du XXe siècle.