L'université de Paris reçut ses premiers statuts au mois d'août 1215, date traditionnellement considérée comme celle de sa fondation. A l'occasion de cet anniversaire, découvrez une série de documents conservés dans les collections patrimoniales de la Bibliothèque de la Sorbonne : chartes marquant différentes étapes du processus de transformation de la communauté des maîtres et étudiants parisiens en institution autonome, dont les fameux statuts de 1215, documents portant les symboles d'identification dont s'est progressivement dotée l'institution universitaire (sceaux, armoiries), registres témoignant de la vie délibérative des quatre "nations" (France, Angleterre, Picardie, Normandie) sur lesquelles a reposé son organisation jusqu'à la Révolution, manuscrits sur parchemin illustrant l'enseignement dispensé dans les quatre facultés parisiennes (Arts, Théologie, Décret et Médecine) aux XIIIe et XIVe siècles.
Nombre de ces documents sont issus du fonds des Archives de l'université de Paris détenu par la bibliothèque. Ce dernier fait actuellement l'objet d'un programme de restauration et de numérisation.
Présentée au premier étage de la bibliothèque de la Sorbonne
Exposition accessible aux lecteurs de la bibliothèque jusqu'à la mi-février 2016
Scène d’enseignement ornant le début du Colliget florum medicinae de Pierre de Saint-Flour. Manuscrit du XIVe s.
Exposition réalisée par le département des Manuscrits et des livres anciens
de la Bibliothèque de la Sorbonne et son atelier de restauration
La constitution progressive de la communauté universitaire parisienne
Premiers statuts de l'université de Paris, août 1215
La date de 1215 n'est qu'une étape dans la transformation de la communauté des maîtres et étudiants de Paris en institution autonome. L’université de Paris ne fut pas créée ex nihilo en 1215. Depuis Charlemagne, des écoles dispensant un enseignement destiné aux futurs clercs s’étaient développées au sein des monastères ou auprès des cathédrales. A Paris, l’école du cloître Notre-Dame et l’école de l’abbaye de Saint-Victor accueillirent des maîtres célèbres, notamment Pierre Lombard, qui enseigna la théologie à Notre-Dame avant de devenir évêque de Paris en 1159, ou les théologiens Hugues de Saint-Victor (1096?-1141) et Richard de Saint-Victor (
Dès la première moitié du XIIe siècle, les maîtres désireux de s’affranchir de la tutelle de l’évêque de Paris commencent à s’installer sur la rive gauche où l’abbaye Sainte-Geneviève est exempte de la juridiction épiscopale : c’est sur les terres de cette abbaye qu’Abélard (1079-1142) trouve refuge. De nombreux maîtres s’installent entre le Petit-Pont et la future place Maubert, aux alentours de la rue du Fouarre : Adam du Petit-Pont, devenu par la suite chanoine de Notre-Dame puis évêque de saint-Asaph au pays de Galles, y enseigne les arts libéraux. Paris est un centre d’études de réputation européenne bien avant l’institution d’une communauté universitaire organisée.
Durant cette période, l’attribution de la « licentia docendi » reste du ressort de l’évêque et attribuée en son nom par le chancelier épiscopal. La tutelle de l’évêque est même un temps renforcée par Philippe Auguste, en juillet 1200 : après des désordres violemment réprimés par le prévôt de Paris, le roi confirme le statut de clerc des maîtres et étudiants parisiens (privilegium canonis) qui les exempte de la justice royale et des tribunaux séculiers (privilegium fori).
L’attribution de la « licentia docendi » est une source de conflit permanent entre la communauté des maîtres et étudiants et le chancelier de Notre-Dame. Jean de Candelis, qui exerce ces fonctions au début du XIIIe siècle, exige que les candidats lui prêtent serment ou lui donnent de l’argent. Maîtres et étudiants en appellent alors au pape Innocent III, qui charge Hervé, évêque de Troyes, de trouver un compromis. L’arbitrage rendu par Hervé de Troyes au mois de novembre 1213 consacre la fin du monopole du chancelier de Notre-Dame et le début de l’autonomie du corps des maîtres dans la nomination de leurs pairs (cf. document exposé).
En août 1215, la communauté des maîtres et étudiants parisiens reçoit ses premiers statuts, octroyés par Robert de Courson, cardinal et légat du pape Innocent III (cf. document exposé) : en quelques lignes, ces statuts précisent les conditions d’aptitude à l’enseignement et le contenu des programmes dont Aristote est en grande partie exclu ; ils imposent également aux étudiants l’obligation de s’inscrire auprès d’un maître. Ils constituent une étape décisive mais pas définitive dans la reconnaissance de l’autonomie universitaire par l’autorité ecclésiastique.
Les années qui suivent ralentissent en effet cet élan. Le successeur du pape Innocent III, Honorius III, dont le pontificat s’étend de 1216 à 1227, cherche à limiter l’autonomie acquise par la communauté des maîtres et étudiants : il lui impose successivement l’interdiction d’enseigner le droit civil, l’intégration des religieux mendiants et de leurs écoles, et la destruction du sceau dont elle avait voulu se doter. Le pontificat de Grégoire IX (1227-1241) marque le retour à une certaine faveur pontificale même si le pape est inquiet de l’audace intellectuelle de certains maîtres. Au mois de mars 1229, la communauté universitaire suspend les cours pour 6 ans et s’exile en dehors de Paris pour protester contre la répression féroce d’une violente bagarre entre écoliers et habitants du faubourg Saint-Marcel.
La bulle Parens scientiarum du 13 avril 1231 met fin au conflit au bout de deux ans : les dispositions antérieures relatives au recrutement des maîtres, aux programmes des cours et aux conditions d’obtention des diplômes sont rappelées ou précisées ; le droit de grève est confirmé ; l’université est affranchie de l’autorité épiscopale et ne relève désormais plus que de l’autorité pontificale.
Ce regain d’autonomie est confirmé et amplifié sous le pontificat d’Innocent IV (1243-1254), et notamment après le concile de Lyon en 1245. Les privilèges de l’université, dotée d’un sceau en 1246, sont confirmés et élargis.
Au milieu du XIIIe siècle, l’institution universitaire est en place selon la structure qu’elle conservera jusqu’à la Révolution : une université ; quatre facultés (arts, théologie, droit et médecine) ; quatre nations (France, Picardie, Normandie, Angleterre). Son autonomie est parfois menacée, notamment au cours de la querelle avec les ordres mendiants au cours des années 1250, mais pas fondamentalement remise en question. Les collèges, simples lieux d’hébergement pour étudiants, n’ont pas de liens institutionnels avec l’université et n’interfèrent pas dans son fonctionnement même si le développement de grands collèges accueillant des cours (tel le collège de Sorbonne fondé en 1257) posera plus tard le problème des relations entre collèges et université.
Les nations
Sceau de la nation d'Angleterre appendu à un acte daté du 14 juin 1342
L’origine des nations reste obscure. Il s’agit probablement au début de simples groupes constitués selon l’origine géographique de leurs membres, peut-être armés et capables d’offrir une protection dans une période violente. Mentionnées en mai 1222 dans un acte du pape Honorius III, elles n’apparaissent comme quatre institutions à part entière que dans les années 1245 à 1249.
La nation de France regroupe les maîtres issus des provinces ecclésiastiques du centre et du sud de la France et des provinces ecclésiastiques d’Europe du sud (Italie et péninsule ibérique).
La nation de Normandie regroupe les maîtres issus des sept diocèses de la province ecclésiastique de Rouen. Sa constitution est peut-être antérieure au rattachement de la Normandie au domaine royal en 1204.
La nation de Picardie regroupe les maîtres issus des provinces ecclésiastiques du nord et de l’est de la France ainsi que des Pays-Bas.
La nation d’Angleterre regroupe les maîtres issus des provinces ecclésiastiques des îles britanniques, des pays scandinaves et du Saint-Empire romain-germanique. La guerre de cent ans, une proportion moindre d’étudiants anglais attirés par l’université d’Oxford, et la prépondérance des étudiants germaniques ont raison de cette appellation en 1437 : la nation d’Angleterre devient alors nation d’Allemagne.
Au milieu du XIIIe siècle, ces regroupements par affinités géographiques, communs à la plupart des universités médiévales, deviennent de véritables institutions qui tiennent des assemblées délibératives (dont les registres conservés à la bibliothèque de la Sorbonne gardent la trace), élisent le procureur qui les représente, ont des « serviteurs communs » (parmi lesquels des messagers), et sont dotées d’un sceau. Ce sont les procureurs des nations qui élisent le recteur, dont la fonction n’a rien de commun avec celle d’un recteur d’aujourd’hui : selon la procédure fixée en 1249, le recteur est alors élu pour un mandat court d’un mois (3 mois à partir de 1266) ; il représente l’Université et non l’Etat.
Registre des conclusions de la nation de Picardie, 1476-1483
Les facultés
« A ce moment [vers 1210], l'étude des lettres florissait à Paris... si on trouve dans cette noble cité un copieux et excellent enseignement du trivium et quadrivium mais aussi des questions du droit canon et du droit romain, de la manière de guérir le corps et de conserver la santé, on n'y enseigne pas moins les Ecritures et les questions théologiques avec un zèle plus ardent. ». Seul témoignage parvenu jusqu'à nous d'un historien contemporain, ce passage de la Gesta de Guillaume Le Breton, distinguant clairement les disciplines enseignées à Paris annonce la formation des quatre facultés parisiennes dont la naissance, au sens institutionnel du terme, est traditionnellement datée du milieu du XIIIe siècle.
La fréquence et la polysémie du terme latin « facultas », utilisé dans les textes universitaires pour désigner tantôt une discipline intellectuelle enseignée, tantôt l'ensemble des maîtres et des étudiants s'adonnant à cette discipline, tantôt le dispositif institutionnel encadrant leurs activités, rend à vrai dire particulièrement complexe l'appréhension de ce processus de création et de sa chronologie. On peut cependant considérer que dès les premières décennies du XIIIe siècle, l'université de Paris s'articule déjà en composantes au sein desquelles les maîtres pratiquant une même discipline s'organisent afin de faciliter leur activité et asseoir leur autorité : des jurys d'examen par discipline sont attestés dès 1213 ; des assemblées autonomes réunies pour accorder la « licentia docendi » sont citées dans une lettre du pape Honorius III en 1219 ; on relève en 1221 des rituels funéraires spécifiques aux maîtres oeuvrant dans une même discipline ; enfin, en 1246, les facultés apparaissent dotées de procureurs agissant en leur nom.
Comme dans les autres universités médiévales, la Faculté des arts assure l’enseignement des arts libéraux, considérés comme une forme de propédeutique indispensable pour aborder les autres disciplines enseignées dans les facultés dites « supérieures ». A Paris, celles-ci sont au nombre de trois : la Faculté de théologie, chargée de l’enseignement prestigieux de la « reine des sciences » ; la Faculté de décret dont les activités se limitent au seul droit canonique, en vertu de la bulle Super speculam de 1219 qui interdit l’enseignement du droit romain à Paris ; enfin, la Faculté de médecine.
Lettre ornée décorant le Doctrinale d’Alexandre de Villedieu. Manuscrit du XIIIe s.
Recueil d’ouvrages d’astronomie et d’astrologie. Manuscrit du XIVe s.
Aristote. Libri naturales. Manuscrit du XIVe s.
Commentaires
Patrimoine remarquable
J'ai eu la chance d'assister à cette exposition au premier étage de la bibliothèque de la Sorbonne... je suis si fière de ce patrimoine !
Jacqueline
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